Photographie Dünya Boukhers – Poème Reda Merida
A Beyrouth, rien mais tout.
Aujourd’hui le ciel est bleu, le soleil est doux, une légère ébriété imbibe l’air pollué de Beyrouth
De vieux corps crevassés se tiennent là où possible
tabouret muret tronc abandonné
leur peau fond
ils lorgnent la vie autour, stupéfaits d’y être encore, abasourdis, étonnés, de ne pas avoir été emportés par la guerre, leur guerre, deux camps qui avec folie s’exterminaient
doucement se consumaient
telle une cigarette
l’identité tue
Cet étonnement d’être encore, de persister, est un éther qui remplit l’espace et possède les corps, même de ceux conçus après la guerre entre deux cigarettes, pour les rapprocher de l’essence du monde, de sa fonction essentielle, de se suffir d’être et d’être toujours plus, de s’élargir pour combler tous les creux de l’existence, par le geste, le vêtement, la voix
les armes quelques fois
De l’autre côté de la rue, une vieille femme traîne ce qui reste de son corps
celui qui persiste aussi
elle traîne ce qui reste de son corps et dans chaque pas laisse une bribe d’elle même
devant une des Vierges qui ponctuent la rue elle allume mille encens
d’une dévotion atone
elle prie pour son salut, ses défunts, et pour cette plaie gaie
le Liban.
Au sud
à Chatila manque Genet
déplacés dépecés dépiécés
mais des poules, des fruits, des étages audacieux, Arafat, des rigoles, des fleurs
mais des silhouettes déambulent et des rires ici par là
une indécente légèreté
Près de la Corniche qui ourle l’océan
sous les tours toisantes
la mer halète
le soleil exulte
les amoureux pélerinent
Beyrouth résiste