
Tu signes ce deuxième album aux manettes de ton propre label, Étoile Distante. Pourquoi avoir choisi de créer ton propre label? Est-ce un besoin de liberté?
L’enregistrement de mon deuxième album correspondait effectivement à un moment de ma pratique de musicien où je me sentais mûr pour monter mon propre label. C’était la volonté d’être entièrement maître des orientations esthétiques mais aussi de l’agenda de mes sorties, de leurs formats, etc.
Pourquoi ressentais tu cette volonté d’être entièrement maître de tes créations? As tu le sentiment que l’industrie musicale a tendance à diriger les artistes vers un contenu commercial et lisse?

“Je n’ai jamais été un musicien monomaniaque, obsédé par une forme esthétique, mes désirs sont différents pour chaque album.”
La dernière édition des Victoires de la Musique a été saluée par la critique pour son casting considéré comme plus ouvert et plus réaliste des nouvelles énergies de la musique française. Partages tu ce sentiment? Quel regard portes tu sur ces remises de prix?
Je n’ai jamais regardé les Victoires de la Musique donc j’aurais du mal à juger leur évolution. Je sais que Juliette Armanet a été récompensée et je trouve ça plutôt mérité dans sa catégorie. Pour ce qui est du rap, j’aurais voté pour Damso.
Cavernes est un album hypnotique, obscur, aux influences berlinoises. Pourquoi t’es-tu éloigné de la pop bien ficelée de ton premier opus? Est-ce une manière de revenir à tes plus profondes influences, à l’énergie de ce groupe punk hardcore de ton adolescence?
C’est vrai que j’ai fait du punk hardcore quand j’étais plus jeune mais je ne crois pas que ce nouvel album soit une sorte de retour du refoulé. Je n’ai jamais été un musicien monomaniaque, obsédé par une forme esthétique, mes désirs sont différents pour chaque album. Sur le précédent, « Saltos », j’avais envie de faire un disque assez romantique de pop synthétique. Sur « Cavernes », l’enjeu consistait à faire se rencontrer une certaine tradition de la chanson française des années 70 et 80 (Gainsbourg, Dashiell Hedayat, Brigitte Fontaine, Alain Kan, Bashung, Christophe) et la musique électronique club d’aujourd’hui. J’ai accentué certains traits de mon écriture et mon attirance pour une sorte de fantastique noir mais à bien y regarder il y a pas mal d’humour dans mon disque.

Ta chanson Niki sonne comme une ode à l’érotisme et aux femmes. Dans le contexte actuel, le morceau a t-il une résonance particulière pour toi?
En réalité, je ne perçois pas vraiment le morceau « Niki » comme une ode à l’érotisme, c’est plutôt un morceau sur la multiplicité d’une personne, cette idée de dire « Il y a plusieurs Niki dans Niki » comme un truc de poupée russe, chaque individu étant constitué d’une infinité de versions de lui-même sans qu’on ne puisse jamais lui assigner une identité stable. S’il peut y avoir une résonance avec le contexte actuel, c’est probablement dans le fait que la violence faite aux femmes est souvent accompagnée par une réduction de leur identité au simple statut d’objet de désir masculin.
A l’heure de l’information immédiate et de l’hyper connecté, penses tu que la musique de 2018 se doit d’être engagé pour un monde plus juste?
Le problème c’est que l’idée d’un monde plus juste est très variable. Je me garderais bien d’en donner ma version et je ne pense pas que la musique soit le meilleur outil pour faire de la politique. Pour autant, en faisant de la musique, en écrivant des textes, on s’adresse aux autres, on exprime des idées, on met le curseur sur certaines choses, situations, rapports qui nous paraissent remarquables ou problématiques. C’est sûr que l’on parle toujours de quelque part, d’une certaine position, en ce sens aucun musicien n’est innocent politiquement.

Tu as choisi de chanter en français et de donner de l’importance aux textes. Comment vis tu ce lien entre mélodie et écriture?
C’est vrai que ce lien constitue le coeur de mon projet. Il s’agit toujours de trouver comment contenir un texte narratif, proche d’une petite nouvelle, dans le format d’une chanson, avec ses contraintes de rythme, de rimes, de concision, etc. Cela oblige à mettre en place des stratégies, par exemple, c’est se dire que la mélodie doit permettre de faire des sauts dans le récit, parce que sa puissance évocatrice peut se substituer à une description, ce genre de choses.
Enfin, c’est quoi pour toi, la musique de demain?
Je crois que les propositions qui m’intéressent le plus sont celles qui parviennent à trouver des façons excitantes de combiner des influences musicales et extra-musicales très diverses. J’ai le sentiment qu’on est dans l’ère du collage, du cut-up, que les cloisons qui pouvaient exister entre les différents styles musicaux, entre la culture populaire et la culture savante, entre l’expérimentation et la pop ont bel et bien céder et que faire de la musique de maintenant c’est savoir se mouvoir dans ce nouveau territoire.

Remerciements: Arthur Sayanoff, Rémi Procureur, Lucas Mathon et Nicolas Vandyck.